A Bordeaux, 2 salles omnisports publiques* sur 3 sont difficilement accessibles aux personnes en situation de handicap physique. Un chantier de longue date face auquel la Ville ne peut plus reculer. Enquête sur douze gymnases de Bordeaux intra muros.
Pierre Larroque est joueur de rugby-fauteuil à Mérignac au sein de l’association Drop de Béton. Les difficultés à pratiquer un sport pour un handicapé, il ne les connaît que trop bien. Accéder à un gymnase à Bordeaux est souvent synonyme de parcours du combattant tant les structures sont inadaptées.
Marie-Cécile Flouret, membre du comité Handisport Gironde, renchérit « Il reste encore beaucoup à faire ». Le comité organise et choisit le lieu des événements sportifs mais propose rarement aux clubs de jouer à Bordeaux.
« Nous préférons emmener les clubs au Bouscat ou au Haillan, où les gymnases sont mieux adaptés aux personnes handicapées même si des actions sont parfois menées à Darwin », Marie-Cécile Flouret
Cela fait pourtant près de 15 ans que les gymnases sont appelés à mettre aux normes leurs équipements. En 2014, la réglementation se durcit et la mise aux normes devient obligatoire. Les établissements recevant du public doivent s’inscrire à un Agenda d’Accessibilité Programmée et engager les travaux nécessaires dans un délai limité. Accessible au regard de la loi, cela veut dire que les personnes handicapées ont « la possibilité, dans des conditions normales de fonctionnement, d’entrer dans l’établissement ou l’installation, de circuler, de sortir et de bénéficier de toutes les prestations offertes au public, dans les mêmes conditions. »
Nous avons voulu vérifier le respect de ces règles dans les 12 gymnases de Bordeaux. Problème : les registres d’accessibilité, obligatoires depuis décembre 2017, ne sont pas encore publics pour ces établissements. Solution : créer cette base de données nous-même. Nous avons donc élaboré notre propre grille de critères à partir de celle du ministère des Sports puis nous sommes rendus sur place pour la remplir.
Source : données récoltées par nos rédacteurs
Sur 12 gymnases, 8 sont accessibles mais se révèlent peu pratiques… ou ne sont équipés qu’à moitié. C’est le cas du gymnase Wustenberg. Situé dans une résidence du même nom, il contient bien des sanitaires pour personnes handicapées et la circulation à l’intérieur du bâtiment est facile. Mais accéder au gymnase n’est pas aussi simple. Une fois le portillon de la propriété ouvert, il faut emprunter un chemin pentu, sans palier de repos.
La salle Malleret illustre bien aussi la mauvaise accessibilité des gymnases bordelais. Des sanitaires spécifiques ont certes été aménagés, mais un lavabo manque dans la cabine. C’est pourtant ce que préconise la réglementation. Ouvrir la porte des toilettes, ou même celle de l’entrée oblige à des manœuvres compliquées. Il est d’ailleurs inutile de chercher une place bleue devant, tout comme à proximité du gymnase des Chartrons.
Des difficultés à toutes les étapes
*Sur 12 gymnases, 8 ne proposent pas de stationnement adapté
Source : données récoltées par nos rédacteurs
Barbey est de loin le plus inhospitalier. Il faut gravir quelques marches avant de franchir le seuil de l’entrée, tandis que les étages attendent encore leurs ascenseurs. Il devrait subir un lifting dans les mois à venir.
A l’opposé, les gymnases Robert Geneste et Ginko (inauguré en mai 2018 par la ministre des sports Laura Flessel) sont les bons élèves : l’accessibilité y est de rigueur.
Pour le meilleur et pour le pire
Source : données récoltées par nos rédacteurs
un sursis de 9 ans pour la rénovation des gymnases
La Ville est consciente de ces problèmes. Dès 2009, Bordeaux décide de mettre aux normes ses bâtiments. La priorité donnée par la mairie à l’époque : les établissements culturels et sportifs. C’est ainsi que le gymnase Nelson Paillou a fait peau neuve en 2012, bénéficiant d’une opération de rénovation évaluée à près de 320 000 €.
« Le patrimoine de la ville est important et complexe. C’est pourquoi nous avons demandé une dérogation pour une période de neuf ans. Les diagnostics réalisés nous ont permis de relever un total de 1 600 actions correctives. » explique Catherine Beaufort-Lancelin, chargée de mission handicap et ingénierie sociale à la Ville de Bordeaux.
« Places de stationnement, pas de porte, rampes, les travaux sont parfois minimes mais prennent du temps… », Catherine Beaufort-Lancelin
Du temps et des efforts. C’est tout ce qu’il faut pour permettre à Pierre Larroque et ses coéquipiers de s’entraîner dans des conditions optimales, dans un gymnase adapté et, pourquoi pas, situé à Bordeaux même. Reste à savoir si le temps institutionnel s’accordera avec l’agenda sportif.
Par Lola Benne, Florian Chaaban, Camille Chrétien, Yohann Dessalles, Lara Dolan et Marina Guibert