A Bordeaux, se loger peut rapidement devenir une galère pour les étudiants. Avec l’attractivité record de la ville, les petits logements ont tendance à déserter les agences pour atterrir sur Airbnb. Mais ce boom n’explique pas tout.
Un numéro d’enregistrement obligatoire, une brigade de 10 agents chargée de traquer les fraudeurs, et une interdiction formelle d’ouvrir ses résidences secondaires à la location : voici l’arsenal législatif déployé le 1er mars 2018 par la mairie de Bordeaux. L’objectif ? Stopper les propriétaires qui profitent aujourd’hui de la nouvelle image séduisante de la ville pour multiplier les locations Airbnb.
Avec plus de 12 000 annonces répertoriées par l’Observatoire Airbnb au premier trimestre 2018, la plateforme américaine s’est taillé une belle part du parc locatif bordelais. Mais cette explosion de la location saisonnière grignote forcément le nombre d’offres dédiées à la résidence principale. Premières victimes collatérales : les petites surfaces. Sur les 148 000 logements que compte l’agglomération, 39% sont des T1/studios. Selon nos recherches, ils représentent 40% des Airbnb bordelais. Pour Matthieu Rouveyre, fondateur de l’Observatoire Airbnb, c’est un vrai problème : « Ce sont les personnes seules, les familles modestes et les étudiants qui sont les plus fragilisés face à ce boom. Et en plus d’assécher le nombre d’offres traditionnelles, cela tire les prix vers le haut. »
Basée sur les critères établis précédemment, nous avons cartographié les studios et T1 disponibles à la location Airbnb dans l’agglomération bordelaise.
La carte ci-dessus est une visualisation du nombre de T1/studios à la location sur Airbnb, à un instant T. Les chiffres, tirés de l’Observatoire Airbnb, datent de mars 2018 pour Bordeaux alors que les autres n’ont pas été actualisés depuis mars 2017 (Cenon, Le Bouscat, Mérignac, Talence, Pessac). Face à la profusion des données, nous avons dû les vérifier et les nettoyer en éliminant les annonces qui nous paraissaient suspicieuses (prix exorbitants, annonces désactivées ou mal définies). On observe donc que 5 006 T1/studios sont disponibles à la location, à un prix moyen de 56 euros la nuitée. Les quartiers les plus touchés sont logiquement les quartiers touristiques et animés de Bordeaux : Triangle d’Or, Saint Pierre, Victoire. Ceux-là même qui sont prisés des étudiants pour le logement.
Deuxième observation : la carte nous permet de connaître le prix moyen des Airbnb, dans l’agglomération bordelaise. Avec une nuitée moyenne de 56 euros, Airbnb peut difficilement représenter une solution de repli pour les étudiants.
Malgré la précision des données que nous avons traitées, une inconnue demeure : ces 5 000 T1/studios ont-ils réellement été retirés de la location classique ? Si nous savons que certains propriétaires utilisent maintenant Airbnb pour louer leur(s) résidence(s) secondaire(s) à l’année, nous n’en connaissons pas la proportion. Il y en a beaucoup, c’est certain. Mais combien ? Ces propriétaires sont finalement les seuls à priver les étudiants d’opportunités de logement. À l’inverse, certaines personnes, parfois des étudiants, sous-louent leur appartement sur Airbnb quand ils quittent épisodiquement Bordeaux. Leurs biens ne sont donc pas retirés du parc locatif classique et ne représentent pas des logements confisqués aux étudiants. L’offre de logements étudiants dépend de ces deux variables, difficilement quantifiables.
L’agence Foncia Transactions Chartrons ne voit pas pour autant ses offres migrer vers Airbnb. Selon ces professionnels, les annonces proposées pour les T1/studios en agence n’ont pas baissé. Mais un renouvellement d’offres n’est pas non plus à constater, bien que la demande soit très importante : « Ce n’est pas spécifique aux Chartrons, mais il y a peu de biens disponibles dans un quartier qui est très demandé. » L’été, ou en période de rentrée scolaire, les demandes sont nombreuses. Des constructions ont été lancées à proximité, comme aux Bassins à flot, mais cela reste insuffisant : « On a connu 15 000 demandes supplémentaires l’an passé. Les locations type Airbnb font beaucoup de mal dans le quartier. Malgré tout, il faut reconnaître le vrai intérêt économique d’une location de biens en passant par Airbnb. »
Airbnb est-il seul sur le banc des accusés ? Pas sûr. En réalité, l’arrivée de la plateforme à Bordeaux a bousculé un secteur immobilier déjà très fragile. Solène Charlier, porte-parole de la section étudiante du syndicat SUD, observe un changement depuis quelques années. « L’attractivité est en plein boom, il y a une tension immobilière forte, surtout sur le centre-ville. » Cette attractivité est en grande partie stimulée par la construction de nouvelles écoles et une population étudiante de plus en plus dense. « Cette année, il y a 92 000 étudiants à Bordeaux contre 85 000 il y a deux ans. Les pouvoirs publics n’ont pas anticipé cette demande de logement, il n’y en a donc pas assez pour tous. »
Pour compléter le tableau, la tendance générale est à l’augmentation des loyers. Encore un obstacle pour les étudiants : « On note une augmentation parfois jusqu’à deux chiffres par an. » Au regard de cette situation, les demandes pour des logements en cité universitaire du CROUS abondent. Problème : « seuls 7% des demandes aboutissent », selon le syndicat. Un résultat parmi les plus faibles de France. « Airbnb a accéleré un processus déjà existant en transformant des résidences principales en locations touristiques ». En revanche, les mesures prises par la mairie, le 1er mars, ont déjà porté leurs fruits. Cent propriétaires ont déjà retiré leur bien d’Airbnb.
Par Léo Marron, Mathieu Message, Jérémy Pellet, Paolo Philippe, Marie Toulemonde et Julia Vandal