L’antibiorésistance, première cause de mortalité mondiale en 2050 ? C’est ce que montre le rapport publié en 2016 par l’économiste britannique Jim O’Neill qui pointe du doigt les effets pervers de la surconsommation d’antibiotiques. En France, près de la moitié des prescriptions d’antibiotiques sont jugées inutiles. Focus sur cette problématique de santé globale.
Un mort toutes les trois secondes en 2050. Dix millions de morts dans le monde. L’économiste Jim O’Neill a rendu en 2016 au gouvernement britannique un rapport sur l’antibiorésistance, engendrée par la consommation abusive d’antibiotiques et la résistance aux antimicrobiens (VIH, tuberculose, paludisme…). Des infections aujourd’hui traitables par antibiotiques pourraient devenir impossibles à soigner. En France, l’antibiorésistance est responsable de plus de 12 000 décès par an. Elle pourrait coûter 100 000 milliards de dollars à l’économie mondiale. Quinze ans après la campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique », où en est-on dans la lutte contre les bactéries antibiorésistantes en France ?
En 2016, 786 tonnes d’antibiotiques ont été consommées en France. L’organisme Santé Publique France a constaté une augmentation de la consommation d’antibiotiques en ville, passant de 27,9 doses définies journalières (DDJ*) pour 1000 habitants en 2006 à 30,3 en 2016. Un chiffre 30 % supérieur à la moyenne européenne. Avec la Grèce, elle fait partie des mauvais élèves. Selon le Professeur Céline Pulcini, le facteur culturel y est pour beaucoup. « Les normes culturelles sont différentes d’un pays à un autre. Dans les pays nordiques par exemple, la culture de l’ordonnance médicamenteuse est beaucoup moins présente. » En commençant sa lutte contre la surconsommation d’antibiotiques en 2001, la France a pris du retard. « Dans les pays scandinaves, une politique de bon usage du médicament est en place depuis le début des années 1990. La France a attendu d’être confrontée au problème pour le traiter, quand certains l’ont anticipé. »
La consommation d’antibiotiques diffère entre les Pays-Bas et la France. 30 doses journalières pour 1000 habitants en France, 10,6 doses aux Pays-Bas sur la période 2000 – 2016. Pourquoi de tels écarts ? La sociologue Sophia Rosman a comparé les pratiques de prescription des médecins généralistes des deux pays en 2004. Aux Pays-Bas, le seuil de consultation est élevé : avant l’accès au médecin, un tri est effectué pour éviter les consultations pour des symptômes sans gravité. Ce qui n’est pas le cas en France.
Elle compare deux consultations, en France et aux Pays-Bas, pour des infections virales : un mal de gorge pour la première, un rhume de cerveau pour la seconde. A l’issue de la consultation néerlandaise, pas de prescription de médicaments mais des conseils d’hygiène de vie et des brochures distribuées. En France, tout autre résultat : le médecin cède à la pression du patient et une ordonnance médicamenteuse est délivrée pour soulager les symptômes d’origine virale. Deux logiques s’affrontent. Les médecins français adoptent majoritairement – environ 80 % – la logique de « réparation », le recours immédiat aux médicaments. Les spécialistes néerlandais prônent eux la logique de « restriction », le recours à la prévention et la limitation de prescriptions.
« Le médecin est confronté à la pression des patients »
La campagne de 2002 « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a connu un large succès. « Des campagnes visuelles et vulgarisées à la population permettront aux gens de se sentir concernés », explique Rania Assab, chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers de Nouvelle-Aquitaine et experte en antibiorésistance. La consommation d’antibiotiques a baissé de 16 % entre 2002 et 2012. Pourtant, depuis quatre ans, la tendance est repartie à la hausse. Selon le Pr. Céline Pulcini, cette augmentation est à prendre en compte, même s’il est important de bien comprendre ces données. « Ce n’est peut être pas une vraie augmentation. Il existe un débat sur les unités de mesure. Selon l’unité de mesure utilisée, il n’y a pas forcément d’augmentation en France, plutôt une stabilité. »
Cette forte consommation serait-elle due à la prescription des médecins ? La scientifique estime qu’un tiers des prescriptions est inutile, un autre tiers est inapproprié. Seul un tiers est prescrit de manière appropriée. Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France explique : « Le médecin est seul, confronté à la pression des patients, des gens qui ne comprennent pas que leur infection est virale, qu’ils n’ont pas besoin d’antibiotiques et que tousser n’est pas forcément grave. » Pour Céline Pulcini, « il est plus facile de prescrire que de ne pas le faire. » Conséquence de cette surprescription : le développement de l’antibiorésistance.
« L’antibiorésistance est un phénomène où des bactéries acquièrent une résistance à un ou plusieurs antibiotiques, précise Rania Assab. Si une personne tombe malade et qu’elle doit prendre des antibiotiques, ces derniers ne seront pas efficaces si la personne est porteuse de ces bactéries. »
Quelles solutions ?
Face à ce problème, le corps médical tente de trouver des solutions. « La résistance acquise de certaines bactéries aux antibiotiques ne va pas disparaître. Je pense qu’il faut chercher comment empêcher sa propagation pour mettre à mal l’antibiorésistance », conseille Rania Assab. Une alternative existe pour faire face à l’antibiorésistance : le bactériophage. Un mode de traitement différent, par des virus naturels. « Pour survivre, ils tuent spécifiquement certaines bactéries tout en préservant les cellules humaines. Seules celles responsables de l’infection sont touchées, explique le docteur Olivier Patey, infectiologue à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. Ils pourraient permettre de raccourcir le délai de traitement. Les bactériophages devraient faire partie de l’arsenal thérapeutique. ». Ces bactériophages sont interdits au sein de l’union européenne. Tous les infectiologues ne s’accordent pas sur leur efficacité. Le Professeur Céline Pulcini reste sceptique : « Ils ne sont pas près de remplacer les antibiotiques… »
Une nouvelle opération de sensibilisation devrait être lancée en 2019. Elle aura le même modèle que la précédente campagne de 2002. « Avec une portée encore plus large, plus forte, ciblant à la fois les médecins et les patients, abordant la santé humaine, animale et l’environnement » annonce le professeur Christian Brun-Buisson, délégué ministériel à l’antibiorésistance, dans les colonnes du Parisien. Cette campagne de prévention espère baisser la consommation d’antibiotiques de 25 % d’ici 2020. Un objectif ambitieux.
*DDJ : unité de mesure internationale reconnue établie sur l’idée de représenter la dose moyenne journalière d’un médicament dans son indication principale pour un adulte de 70 kilogrammes.
Juliette de Guyenro, Antoine Belhassen, Lohan Benaati, Pierre Billaud, Axel Bourcier et Victor Lengronne