Depuis qu’il est président des Républicains, le compte Twitter de Laurent Wauquiez s’est transformé. Exit les photos de sa tournée électorale, place aux déclarations de celui qui se veut présidentiable. Plongée dans les abysses de la communication digitale de l’homme à la parka rouge.
Peser ses mots. Le conseil est plus que pertinent sur Twitter. Surtout lorsque l’on compte 307 000 abonnés. Sur le réseau de l’oiseau bleu, Laurent Wauquiez redouble-t-il de prudence ? Avec des tweets quasi journaliers, le président de LR veut s’adresser depuis son élection “aux Français” plutôt qu’à son seul électorat. Une stratégie qui a totalement bouleversé le champ lexical de ses publications. Thèmes abordés, hashtags utilisés et comptes tagués, leur analyse révèle les ruptures dans la communication digitale du patron des Républicains.
Les mots de Laurent Wauquiez ont bien changé depuis sa prise du parti. Son utilisation de Twitter, bien qu’institutionnelle et, dans l’ensemble, assez froide, se fait l’échos une politique très marquée : alors qu’il battait la campagne numérique pour rassembler son propre camp, Laurent Wauquiez vise désormais plus large, plus haut.
Par exemple, un avis de disparition : où est passé le « vous » ? Il l’utilise trois fois moins depuis son élection (105/30), alors que l’utilisation du « nous » augmente (218/270). Le « nous », ce petit élément-clé qui vise à montrer qu’il n’est pas un homme isolé, qu’il est entouré.
« Ce que montre ce corpus, c’est qu’il considère
qu’une fois élu le rassemblement est fait »Adrien Gaboulaud – journaliste – auteur du Poids des mots du président
Et pourtant, il n’y a plus grand monde dans les tweets de Laurent Wauquiez. En témoigne l’impressionnante dégringolade du nombre de comptes qu’il identifie à l’aide d’un @ : 188 comptes avant sa campagne, un petit 53 après. Wauquiez candidat cite à tours de bras les comptes de ses soutiens, locaux ou nationaux. Wauquiez président de parti ne les sollicite plus, et préfère interpeller des sportifs comme Martin Fourcade, ou les médias dont il visite les plateaux.
Ce qu’on constate en se plongeant dans le Twitter du nouveau président des Républicains, c’est un changement de fond : un changement de cible. Depuis le 10 décembre, elle se clarifie : « Les Français », cités trois fois plus depuis son élection. Wauquiez président de la République ?
« Les tweets qui commencent par “les Français” sont pensés et conçus pour montrer qu’on parle à tous, alors qu’on ne s’adresse en fait qu’à notre cible. L’idée est de mettre en scène une stature, et donc une parole nationale. C’est la mise en scène d’une prise de hauteur, même quand elle n’existe pas.
Florian Silnicki – communicant
Alerte paradoxe : alors qu’il cultive une image d’homme politique national, le président des Républicains martèle un thème qui ne séduit qu’un coeur de cible très restreint. Se reposer sur sa base, la dorloter, pour mieux partir à l’assaut des autres.
Le Twitter de Laurent Wauquiez est par exemple devenu une machine à parler d’immigration. Ce thème était complètement absent de sa com’ digitale avant son élection, avec seulement deux petits tweets consacrés au sujet en 6 mois. Et après, la déferlante : de 2 tweets, on passe à 36. En témoigne ce hashtag boulet de canon, #reduirelimmigration, lancé en avril alors que le projet de loi Asile et Immigration du gouvernement passait à l’Assemblée nationale.
Nous devons mettre un point d’arrêt à l’immigration illégale :
1⃣ Nous proposons de ramener systématiquement dans leur lieu de départ les bateaux interceptés.
2⃣ L’interdiction à vie de régularisation pour un étranger entré illégalement en France. #reduirelimmigration— Laurent Wauquiez (@laurentwauquiez) 18 avril 2018
En plus des mots, l’image. Laurent Wauquiez utilise les photos pour augmenter l’impact de sa communication digitale. Avant son élection, 62% de ses tweets comportent une photo ou vidéo, alors qu’après, il ne les utilise plus que dans la moitié de ses publications. Ces photos se distinguent en huit catégories, selon l’effet de communication escompté.
Vous l’aurez compris, Laurent Wauquiez et les tweets avec photo, c’est une grande histoire d’amour. On pourrait penser que cette forme de communication est plus efficace, mais ce n’est pas l’avis de Florian Silnicki. “Laurent Wauquiez tweete souvent beaucoup trop de photos d’un seul coup. Une seule photo avec un seul message suffirait”, affirme le communicant.
Pour lui, Laurent Wauquiez ne mène pas une bonne stratégie digitale. “Il ne faut pas qu’il accompagne ses photos de phrases à rallonge, c’est contraire à l’ADN même de Twitter. Laurent Wauquiez est encore loin d’avoir adopté tous les codes de ce réseau social.” Et toc.
Après son élection, Laurent Wauquiez change de stratégie. 22% de ses photos avaient pour but d’annoncer sa présence dans les médias avant le 10 décembre. Ce n’est plus le cas que dans 7% de ses tweets après l’élection. Mais c’est déjà 7% de trop pour Florian Silnicki pour qui cette pratique est tout simplement “has been”. Le communicant estime qu’il serait plus efficace de “ retweeter une image de l’intervention de Laurent Wauquiez dans un média, plutôt que de voir Laurent Wauquiez tweeter lui-même un bandeau qui annonce sa prise de parole.”
À noter aussi : depuis son élection, Laurent Wauquiez ne prend presque plus la peine de tweeter des infographies. Pourquoi s’encombrer de tweets didactiques une fois qu’on a été élu ? Maintenant qu’il n’a plus à séduire et convaincre son électorat, il peut se concentrer sur ses tweets préférés : les photos classées dans la catégorie rencontre. Elles représentaient 30% de ses photos avant, et 40% après. Conclusion : une fois élu, Laurent Wauquiez passe encore plus de temps à se mettre en scène.
« Les personnes qui fréquentent Twitter s’intéressent à l’actualité, ils sont susceptibles de vouloir être informés des passages radio ou autre. Ce qui compte, c’est que l’information soit diffusée. C’est plus intéressant pour lui de maîtriser son information. »
Martin Des Brest – fondateur de l’agence Wordz
Là encore, on peut remarquer de grosses différences entre avant et après son élection à la tête de LR :
Pendant sa campagne, il s’agit de parler principalement à son camp, sur des thématiques qui créeront l’enthousiasme autour de sa candidature. C’est ce qui l’a sans doute poussé à s’exprimer dans des émissions et médias très marqués à droite comme Zemmour & Naulleau, Causeur ou Valeurs Actuelles. Après son élection, l’objectif est de se poser en chef de parti aux ambitions nationales : il doit fédérer les Français. C’est ce qui peut expliquer sa présence sur des médias plus grand public, y compris deux 20H.
En se concentrant plus précisément sur les mentions de ses passages médiatiques sur Twitter, on remarque qu’il a investi en quantité similaire la télé, la radio et la presse écrite… L’idée : être partout, tout le temps. Une fois élu, il doit assumer son ambition de premier opposant à Emmanuel Macron, et privilégie donc la presse papier et la télévision. L’objectif est clair : imprimer son image et légitimer sa présence dans le paysage médiatique. A cet égard, il prend soin de mettre en avant tous ses passages sur son compte Twitter, qui reflète donc sa nouvelle préférence pour la télévision.
Laurent Wauquiez alimente une obsession parfois exacerbée pour sa région. Pour preuve, il affiche son amour pour l’Auvergne-Rhône-Alpes (AuRA) au quotidien sur son profil Twitter. Avant son élection, plus de 11% de ses hashtags concernaient son territoire. Ce chiffre explose après le 10 décembre 2017, soir de son accession à la présidence des Républicains : plus de 35%.
« C’est toujours un clin d’oeil à ceux qui disent qu’il n’est pas assez présent sur le terrain. Et puis, ça renvoie surtout à la fierté d’appartenir à cette région, c’est un moyen de dire aux habitants de l’Auvergne-Rhône-Alpes : « je suis là, je ne vous oublie pas ».
Florian Sinilcki.
Pourtant, sur les 195 personnalités publiques, entreprises ou médias interpellés avant son élection, 171 ne sont pas issus de la région (87,69 % de ses interactions). Seulement 50 mentions font référence à des maires, députés ou conseillers d’Auvergne-Rhône Alpes. Après son élection à la tête du parti les Républicains (LR), il ne mentionne presque plus les acteurs de sa région.
Mais d’où sont issues les personnalités mentionnées ? Pendant sa campagne, Laurent Wauquiez a maintenu des liens avec des départements traditionnellement ancrés à droite comme les Bouches-du-Rhône et le Maine-et-Loire. Départements qui ont également fait partie de sa tournée de campagne. Pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, les mentions se concentrent autour du département du Rhône. Laurent Wauquiez n’a jamais apostrophé les élus de sept départements de sa région.
Ce qui ne l’empêche pas de parler de ces départements dans ses tweets. La Haute-Loire et la Haute-Savoie, tous deux bastions de la droite, obtiennent plus les faveurs de l’homme à la parka rouge. Un intérêt qui n’est pas partagé pour les territoires plus ancrés à gauche. En Isère par exemple, des grandes villes comme Grenoble, Saint-Martin-d’Hères ou Echirolles abritent des maires écologistes ou communistes.
Une autre tendance se dégage : quand Laurent Wauquiez parle de l’Auvergne-Rhône-Alpes, c’est toujours à l’aune de l’économie locale. Plus de 50% de ses «hashtags régionaux» y sont dédiés, et ce chiffre pointe à 64% après son élection. Industrie, emplois, start-ups, compétitivité…tous les mots sont bons pour clamer la supériorité économique de sa région
«Laurent Wauquiez veut montrer qu’il est différent des autres en se montrant plus ancré dans les réalités», continue Florian Sinilcki. «Sa stratégie, c’est de dire «je parle vrai, et si je parle vrai c’est que j’ai un ancrage de terrain». Ça permet de faire la distinction avec ses concurrents dans l’inconscient électoral.»
Pendant sa campagne, plus de 20% de ses hashtags sur l’AuRA abordent l’éducation. Une manière pour lui de s’adresser aux jeunes. Les autres sujets (social, sport, terroir, culture…) sont souvent relégués en seconde zone. Le président LR veut séduire et fédérer les jeunes, hors de son coeur de cible historique.
Son discours va largement se diversifier après la journée charnière du 10 décembre. Laurent Wauquiez n’est plus en campagne, et ça se voit. Ses tweets adressés aux jeunes de sa région dégringolent de 22% à…moins de 4%. Au profit d’autres sujets comme le sport, essentiellement lié à l’actualité locale, avec le Critérium du Dauphiné. On assiste alors sur Twitter à une institutionnalisation du discours de Laurent Wauquiez sur sa région, avec une touche d’histoire locale et d’environnement. Comme si un nouveau poste national incitait Wauquiez à réaffirmer – une fois de plus – sa proximité avec la région AuRA.
Retweets, le top 3
Sécurité du pays ou bad buzz suite aux propos tenus à l’EM Lyon ? C’est dans ces deux directions qu’il faut regarder si l’on s’intéresse aux propos de Laurent Wauquiez les plus retweetés. Trois de ses cinq contenus les plus repris concernent la sécurité intérieure et ses propositions pour l’améliorer. Les deux autres sont une réaction directe à la diffusion par l’émission Quotidien de l’un de ses cours à l’EM Lyon. En février 2018, l’émission a révélé des enregistrements captés à l’insu du patron de LR.
Likes, le top 3
Côté likes, c’est l’humour qui l’emporte. Laurent Wauquiez préfère répondre avec légèreté à l’animateur d’Europe 1, Jean-Philippe Balasse. Celui-ci tweete une photo du patron de LR entouré de vaches, au Salon de l’agriculture. En référence à l’épisode de l’EM Lyon, l’animateur écrit “Bon, les vaches, on est d’accord. Tout ce que je dis reste entre nous. Donc pas de tweets, pas de posts sur les réseaux sociaux”. Laurent Wauquiez reprend son tweet et ajoute le commentaire suivant : “Bon, finalement rien n’est sorti. On peut faire confiance aux vaches #SIA2018”. Son passage dans l’Emission Politique en janvier vient en deuxième position, suivie par son tweet sur l’attaque des forces de l’ordre à Champigny. Tout deux figurent déja dans les tweets les plus repris.
Une enquête réalisée par Corentin Nicolas, Théo Mercadier, Bastien Munch, Émeline Paillasseur, Théotime Roux et Mélanie Volland