Lartigue, village d’une quarantaine d’habitants à l’extrême sud-est de la Gironde. Cette commune est classée « désert médical » par un rapport commandé par le ministère des Solidarités et de la Santé. Pour y remédier, le souhait du gouvernement est d’y développer la télémédecine. Mais ses habitants en ont-ils vraiment besoin ?
Des médecins qui se déplacent de moins en moins, des urgences à plus d’une demi-heure de voiture, la pharmacie la plus proche à un quart d’heure. Lartigue est considéré comme un désert médical. Mais, comme ailleurs, les habitants arrivent à se soigner. Pourtant la commune est située dans le bas du classement en terme d’accès potentiel localisée aux soins (APL).Selon une étude basée sur l’année 2016 et réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les habitants du village n’ont accès à aucune consultation ou visite de médecins généralistes.
Décocher les cases bleues pour observer la différence d'accès aux médecins de moins de 65 ans et à ceux de tous âges confondus. Les communes qui apparaissent en mauve sont sous-dotées en termes d'accès aux médecins généralistes. En Gironde, 24 communes sur 542, dont Lartigue, sont en-dessous de 2,5 consultations ou visites par habitant et par an. L'accès aux médecins de moins 65 ans est par contre plus compliqué pour 54 communes du département. Leur remplacement n'est pas assuré et ne favorise pas un accès pérenne aux médecins généralistes.
« S’il y a un problème, on doit faire le 15 ou aller aux urgences à Langon », à 54 kilomètres de là, explique Éliane Tauziede, seconde-adjointe au maire de Lartigue. Une situation que tous les Lartiguais connaissent et acceptent.
Serge Ordureau, vit depuis 18 ans dans cette commune. Son médecin traitant, Dr Konshelle est basé à Captieux, à 18 kilomètres du village. Lorsqu’il prend rendez-vous, il se rend en voiture à sa consultation. Si le généraliste peut se déplacer, Serge Ordureau évite un maximum les consultations à domicile, « ce n’est pas très commode pour M. Konshelle ».
Les habitants comprennent les difficultés que rencontrent les médecins à répondre à la demande de soins. « On ne peut pas leur jeter la pierre, pendant qu’ils sont sur la route, ils ne soignent personne », reconnaît Jean-Marie Zorilla, le maire de Saint-Michel-de-Castelneau, commune voisine. Sur la route, les médecins le sont de moins en moins. Les consultations à domicile concernent désormais principalement les personnes âgées.
Plus inquiétant, les généralistes ne sont pas toujours renouvelés. Actuellement, quatre praticiens interviennent entre Grignols et Captieux. L’un d’eux prendra sa retraite bientôt. « S’il n’est pas remplacé, on n’a plus de docteur », se résigne Jean-Marie Zorilla. Pour lui, la situation continuera de se dégrader, « il n’y a pas de patientèle suffisante pour attirer les médecins ».
En Nouvelle-Aquitaine, il y a un chirurgien pour 990 personnes, un médecin généraliste pour 155 habitants et un infirmier pour 95 personnes. À l’échelle nationale, sur ces deux spécialités, le département oscille entre la 4ème et la 6ème place.
178 Soit le nombre de médecins généralistes pour 100 000 habitants en Gironde en 2015. Depuis 2006, cette densité a varié entre 168 et 181, avec une augmentation pratiquement constante de la population et du nombre de médecins. À titre de comparaison, en 2015, le département du Lot-et-Garonne a une densité de 135 médecins généralistes pour 100 000 habitants. Paris est à 246. |
En 2017, sur 2810 médecins généralistes en Gironde, 1516 sont des hommes et 1294 des femmes. On observe néanmoins un vieillissement des hommes dans la profession. Jusqu’à 54 ans, les femmes sont plus nombreuses. Elles le sont pratiquement deux fois plus entre 30 et 34 ans.
Si la population augmente dans l’ensemble de la communauté de commune du Bazadais, celle des villages baisse. Lartigue comptait 55 habitants en 2006. À Saint-Michel-de-Castelnau, le nombre d’habitants est passée de 233 à 200.
Certaines mesures sont prises pour améliorer l’accès à la santé. Un contrat local de santé a été voté en 2016. La déclinaison du projet régional de santé à l’échelle de la communauté de communes du Bazadais et du Sud-Gironde devrait permettre de mutualiser les ressources et les moyens, ainsi que de définir les mesures prioritaires. Mais la démarche peine à se concrétiser et commence tout juste à se mettre en place selon le maire de Saint-Michel-de-Castelneau.
« À 4h du matin, j’ai 6Mo qui descendent. C’te folie! »
Le 29 mai 2018, Ipsos santé a publié les résultats de son enquête sur la télémédecine. 6 Français sur 10 ont déjà renoncé à consulter un médecin. 38% ont attendu trop longtemps avant de consulter un médecin pour un problème de santé a priori bénin et qui s’est ensuite aggravé. Du côté des professionnels de santé, ils sont 76% des généralistes à déclarer être trop sollicités. Point positif, un Français sur deux se déclare prêt à consulter un médecin via la télémédecine.
Pour tenter de régler le problème des déserts médicaux, une première sonnette d’alarme avait été tirée en 2015. Le conseil national de l’Ordre de des médecins dressait dans son bilan le chiffre de 192 déserts médicaux en France dans lesquels vivent 2,5 millions de Français. Alors, le 13 octobre dernier, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, a dévoilé son plan pour tenter d’y remédier. Elle avance notamment le développement de la télémédecine. En 2012, le gouvernement investissait 83 400 000 euros.
En Nouvelle-Aquitaine, le télémédecine a été progressivement mise en place. La région compte 61 établissements. Dans le détail, Bordeaux et ses environs en concentrent 40. À Lartigue, le premier centre hospitalier bénéficiant d’une activité de télémédecine est à une quarantaine kilomètres au nord, soit 35 minutes de voiture par la N524. Près de Langon, au centre hospitalier Sud-Gironde, on soigne les caillots de sang dans le cadre d’AVC grâce à la téléthrombolyse.
Encore faudrait-il avoir un accès satisfaisant à Internet. « J’ai ai un ADSL et un 4G regroupés par un routeur. tout ça pour avoir un internet qui fonctionne…un peu. Quand tout va bien, à 4h du matin, j’ai 6Mo qui descendent. C’te folie! Sinon, dans la journée, c’est pénible…2 Mo…quand tout va bien. Ça rame grave. De la vidéo sur Skype…très moyen », raille un Serge Ordureau, goguenard.
Au sein de la maison de santé, le docteur Olivier Mantoulan a lui aussi dû renoncer à pratiquer certaines opérations. Toujours à cause d’un accès à Internet capricieux. « Le bois crée un pare-feu et empêche le wi-fi de passer. Il est donc impossible d’utiliser l’électro-cardiogramme. Je ne vais pas ausculter mon patient par terre quand même », peste-t-il.
« Ne me dites pas que c’est de la médecine »
“Ce n’est pas de la médecine ça, c’est n’importe quoi. Déjà aujourd’hui, c’est limite si les médecins vous touchent. Je n’ai pas besoin de vous pour faire le travail que vous faites sur Internet. Si c’est pour avoir un type qui ne vous touche pas, qui vous regarde derrière un écran, il ne fait pas de médecine. [La télémédecine], de la médecine ? C’est ça ouais…et mon cul c’est du poulet !?”, ajoute Serge Ordureau.
En octobre 2018, la maison de santé de Grignols fêtera ses 4 ans. Ici, on dispose de trois médecins généralistes, trois externes, un pédicure, un podologue, trois kinés, un ostéopathe, un service d’aide à domicile, un orthophoniste, deux psychologue et onze infirmiers. Ce centre médical comme les neuf autres du département est une autre forme de réponse aux déserts médicaux. Le 12 octobre dernier, le premier ministre Edouard Philippe a fait le souhait de les doubler.
À Villandraut, à 38 kilomètres au nord de Lartigue, il existe une autre maison de la santé. Celle-ci a été ouverte le 2 janvier 2013. Elle contient les mêmes services que celle de Grignols. Il y a une diététicienne, deux dentistes et un kinésithérapeute en plus. Mais comme le concède Jacques Lamy de la Chapelle, médecin généraliste dans la commune, « les habitants de Lartigue ne viennent pas ici. Il n’en ont pas besoin. Il y a tout à Grignols ».
Florent Bardos, Clément Billardello, Charlotte Boniteau, Lucie Carbajal, Maud Charlet, Théophile Larcher