Depuis que La République En Marche (LREM) est entrée à l’Assemblée nationale en 2017, les députés de la majorité suivent une partition harmonisée, autour d’une règle tacite : les amendements doivent être déposés collectivement, et le vote, être fait à l’unisson. La loi Asile et Immigration, débattue en mars 2018, marque les premiers couacs de ce fonctionnement au diapason. Pour vérifier cette évolution, j’ai analysé les jeux de données en Open Data de l’Assemblée nationale.

Alors que la mécanique parlementaire des députés La République En Marche (LREM) semble bien huilée, Jean-Michel Clément est le premier à sortir du rang. Le 22 avril, en votant contre la loi Asile et Immigration, le député contestataire se met à dos la majorité. Et le comprend à ses dépens. Richard Ferrand, président du groupe majoritaire, avait pourtant prévenu ses troupes : « Abstention : péché véniel. Vote contre : péché mortel ». Depuis, le député de la 3ème circonscription de la Vienne s’est mis en congé du groupe politique.

Cette mise à l’écart suscite des interrogations. Le groupe de la majorité se présentait jusque-là comme un bloc, sans dissensions apparentes. La raison ? Un mode de fonctionnement particulier : suivre les consignes de vote des responsables du parti. Mieux : avoir une discipline dans le dépôt des amendements. La majorité organise alors des réunions de « balayage d’amendements », afin de discuter en interne des amendements qui seront déposés avant la séance à l’Assemblée. Et s’assurer que les amendements soient déposés en groupe et co-signés.

Le but affiché du balayage d’amendements est de préserver la cohésion du groupe. Selon Dominique David, députée de la 1ère circonscription de la Gironde, « écrire des amendements ne doit pas être un outil d’obstruction ou un indicateur de performance. Quand les amendements sont retenus par le groupe, ils sont signés par tout le groupe. Ainsi, tous les députés sont à égalité pour que le nombre d’amendements déposés ne constitue pas un indicateur de performance. »

Le président du groupe LREM Richard Ferrand se veut être clair sur les conséquences d’une mutinerie : « Le débat est libre, mais il ne s’agit pas de faire battre des ministres… Quand on n’a pas réussi à convaincre en réunion de groupe, on n’a pas réussi… Sinon, on devient auto-entrepreneur, c’est-à-dire non inscrit ! » Le problème, c’est qu’aucun vote n’est organisé au sein des réunions de balayage d’amendements. Ce sont le président de la commission, celui du groupe et le rapporteur qui ont le dernier mot.

 

Pour comprendre ce qu’il se passe dans ce huit-clos, j’ai interviewé Jean-Michel Clément, le député qui a osé claquer la porte. Selon lui, c’est à travers la voix du rapporteur que le gouvernement garde la main sur le sort des amendements. « L’exécutif prend le pas sur le législatif. Ni plus, ni moins », assure-t-il. De quoi inquiéter, selon Philippe Blacher, professeur agrégé de droit public à l’université Lyon III : « La dérive du groupe LREM, c’est que le Parlement est devenu une instance managériale que l’on pilote comme on piloterait une entreprise. On va dans une orientation qui est dangereuse pour les institutions politiques. Tout sera décidé par l’exécutif, par l’administration et par la bureaucratie. Le Parlement deviendra un organe bureaucratique. »

Cette pratique du dépôt d’amendements est aussi, selon lui, en contradiction avec les principes parlementaires : le droit d’amendement doit s’exercer individuellement. « Le fait de co-signer les amendements n’est pas une règle juridique mais politique. LREM le fait pour deux raisons. D’une part, pour lutter contre un retour éventuel de frondeurs. D’autre part, car les députés LREM exécutent le programme du candidat Macron. C’est ce qu’on appelle la constitution d’une majorité présidentielle qui oriente la démarche de ses députés. »

Grâce aux données en Open Data de l’Assemblée nationale, le sort des amendements déposés par les députés LREM est transparent et accessible. Je les ai étudiés pour tenter de vérifier si cette règle de l’amendement collectif était suivie. Résultat : la plupart des amendements déposés par les députés marcheurs étaient co-signés. Mais certains des députés se sont affranchis de cette règle durant la première année du quinquennat.

 

Sur la période mai 2017-2018, le nombre d’amendements individuels à l’Assemblée nationale a sensiblement augmenté. Et ce à partir du mois de mars 2018, lorsque les lois Orientation et Réussite des Étudiants et Modernisation de la Justice étaient débattues. Au mois d’avril, les dépôts d’amendements individuels augmentent également avec la loi Asile et Immigration. Au mois de mai, ils connaissent à nouveau un pic, lors des discussions sur la loi Agriculture et Alimentation. Avec le regain des amendements individuels, certains députés marcheurs cherchent à se détacher des règles dictées initialement par le groupe. Mais que deviennent ces amendements une fois déposés ? 

11% des amendements individuels de députés LREM ont été retirés, soit plus que les six autres groupes parlementaires. Pour les amendements non-soutenus, le résultat est moins probant : seulement 12% pour LREM contre 50% pour Les Centristes (LC).

En additionnant les amendements retirés et non-soutenus des députés LREM, je trouve le chiffre de 22%. Autrement dit, 22% des amendements individuels déposés par les députés LREM ne sont pas votés. Parallèlement, 69% des amendements individuels sont adoptés. Pourquoi certaines initiatives personnelles sont-elles finalement acceptées par l’Assemblée ?

Si l’Assemblée nationale juge ces amendements pertinents, pourquoi les responsables du groupe tiennent-ils tant à les réduire ? Sans doute pour ne pas briser l’image d’Épinal que souhaite se forger le parti du Président. En témoigne cette déclaration à l’AFP du député Gilles Le Gendre : « Si on est noyé par le volume de nos amendements, on montre nos dissensions et la presse s’en empare. »

 

Deuxième constat, deuxième surprise. On imagine que les députés de la majorité ayant déjà eu un mandat et rodés au travail parlementaire, iraient davantage à contre-courant des directives du groupe. Il n’en est rien. 64% des néo-députés ont déposé seul des amendements, ce qui rompt l’idée reçue du néophyte qui n’ose pas s’affranchir du groupe.

Les députés marcheurs ont-ils réellement envie de s’émanciper et de casser les codes tout juste établis ? Les données de l’Assemblée nationale m’ont permis d’arriver à ce constat, qu’il faut nuancer. Les amendements ne sont pas tous de même nature.

Pour analyser leur impact politique réel, il faudrait étudier le contenu des 69% d’amendements individuels adoptés et déposés par les députés LREM et distinguer les amendements rédactionnels, des amendements substantiels.

Pour cela, il faudrait lire en détail les centaines d’amendements un par un et établir une méthode pour analyser s’ils contiennent une critique des projets de loi auxquels ils se rapportent. Un travail passionnant mais qui demande plus de temps que la semaine dont je dispose.

Une saison 2 est à suivre pour continuer d’analyser les évolutions des  députés marcheurs sur l’année 2018-2019…

 

Par Manon Pélissier