Au début…
Nous nous sommes demandé si les députés de La République En Marche sont aussi exemplaires qu’ils ne le prônent, notamment en matière d’assiduité. Véritable promesse de campagne, l’exemplarité parlementaire était une accroche phare de ce tout nouveau parti. Un peu sceptiques, nous avons voulu faire un bilan du travail de ces “jeunots” de la politique (sur 312 députés LREM, 281 commencent leur premier mandat à l’Assemblée). Pour cela, il fallait comparer l’activité parlementaire de cette quinzième législature avec celle de la quatorzième, voire la treizième.
Sauf que…
Un mois après lancé nos recherches, nous nous retrouvons nez à nez avec cet article de Capital
Une ré-orientation s’imposait. Nous avons opté pour la détection d’éventuelles tensions au sein de ce groupe parlementaire. Notre hypothèse s’est alors resserrée surtout avec les questions d’actualité qui l’ont traversée, comme la loi asile et immigration.
Quand les premiers articles de presse ont relevé les divergences au sein de la majorité sur le projet de loi asile et immigration, nous avons obtenu la justification qu’il nous manquait pour pouvoir établir notre hypothèse (à savoir, les premières abstentions ainsi qu’un vote contre une loi portée par le gouvernement). Pour éviter la surcharge de données et l’éclatement de l’angle, nous avons limité notre analyse à la prérogative principale du député : le droit d’amendement.
Notre nouvelle hypothèse a été la suivante : plus les députés font des amendements sur des projets de loi, plus ils contestent la politique du gouvernement.
Des problèmes de méthodologie
Lorsque la semaine de Datalab a débuté, nous avons constaté que nous ne maîtrisons pas tous les termes juridiques de notre sujet.
La notion d’amendement est plus technique qu’elle n’y paraît. D’une part, elle comprend de nombreuses ramifications (amendement non soutenu, tombé, rejeté, retiré, irrecevable, adopté…) En outre, nous n’avions pas saisi toute la portée et les enjeux autour du vote d’un amendement. Nous avons donc contacté un juriste qui nous a éclairé sur ces questions. Problème… nous faisions fausse route ! Philippe Blacher, professeur de droit public agrégé nous a expliqué qu’un dépôt d’amendement ne signifie pas systématiquement qu’il y a une contestation. Pour savoir si c’était le cas, il aurait fallu lire chaque amendement un par un. D’autant plus qu’il y a deux types d’amendements, un substantiel et un rédactionnel. Le premier porte sur une modification de fond, l’autre sur une modification de forme (ajout d’une virgule, d’un alinéa…) La nuance entre les deux étant très subtile, il était impossible pour nous de les analyser un par un, puisqu’il ne nous restait que trois jours pour publier notre enquête.
En prenant en compte les remarques des différents experts, nous avons formulé une nouvelle hypothèse (la dernière cette fois). Après avoir croisé différentes sources, nous savons qu’une règle tacite au sein de la majorité exige que les députés En Marche co-signent systématiquement leurs amendements dans une logique de consensus alors même que juridiquement, un député peut déposer un amendement seul. Nous nous sommes alors demandé si cette approche “caporalisée” commençait à se briser au sein du groupe LREM, notamment depuis la loi asile et immigration.
Quelques coups de fil …
Pour ce qui est de la prise de contact avec les experts et les députés, la principale difficulté à laquelle nous avons été confronté a été d’obtenir les canaux les plus directs (des 06 en somme) pour questionner des gens globalement très occupés.
Le mode de contact le plus efficace a finalement été Twitter. Avec un simple post, nous avons pu avoir le contact du député Jean-Michel Clément, ce député qui a été poussé vers la sortie du groupe LREM après avoir voté contre la loi asile et immigration.
Et le data alors ?
Les problématiques expliquées ci-dessus ont eu des conséquences sur le traitement de nos données. D’un côté, n’ayant pas correctement réalisé les recherches juridiques en amont, nous n’avons pas ciblé correctement la recherche de nos données.
Le plus gros obstacle a été la récupération de données. Bien que toutes les données soient accessibles au public sur le site de l’Assemblée nationale, l’extraction (ou scrapping) n’a pas fonctionné. Le temps d’attente de la page était trop long pour le scrappeur (logiciel extracteur). Il aurait fallu avoir un logiciel plus puissant que WebScrapper. Or, ils sont payants.
Nous avons dû nous rabattre sur de la récupération de données par ligne de commande, en d’autres termes, de la programmation. Chose qui aurait été impossible sans l’aide de notre référent data Cédric Lombion, qui a dû créer des scripts pour avoir accès aux informations de l’API. Le problème nous concernant se situait donc plutôt au niveau de nos compétences techniques, trop faibles au vu des difficultés rencontrées.
Le premier jeu de données extrait, bien qu’intéressant, n’était pas utilisable, il a fallu faire une deuxième, puis une troisième récupération de données. Ce qui a pris du temps et a eu pour conséquence de nous obliger à avancer sur le fond, mais les yeux bandés dans l’incertitude de savoir si les données allaient infirmer ou confirmer notre hypothèse.
Parmi les informations cruciales manquantes figuraient les dates exactes des amendements. Il nous était impossible d’avancer sur notre hypothèse sans avoir ces dates, car le but était d’observer à quelle période de la XVème législature les “fractures” apparaissent au sein de LREM, via des amendements individuels.
Voilà ou nous en étions le mardi 29 mai au soir.
Le mercredi matin, Cédric nous a fourni un fichier avec cette chronologie dont nous avions besoin. Nous avons alors pu vérifier l’exactitude des données, à partir d’un exemple précis : la loi asile et immigration. Nous avons comparé le nombre d’amendements pour cette loi, selon le fichier de regardscitoyens.fr, avec les chiffres fournis par l’Assemblée Nationale.
Les valeurs ne collaient pas, ce qui a remis à peu près tout notre jeu de données en cause.
L’étape cruciale de l’extraction de donnée a été grandement ralentie par des problèmes de structures au sein du fichier de l’Assemblée Nationale. Ces erreurs de structures ont eu des répercussions sur l’API de regardscitoyens.fr, car elles ont faussé leurs propres données. Or, nous nous étions essentiellement basés sur leurs données, et non directement celles de l’Assemblée, dont le scrapping ne fonctionnait pas. Après quelques nuits de codage, le fichier en question a été nettoyé et rendu exploitable, tout du moins pour les objectifs que nous nous étions fixés.
L’Open Data institutionnel, “work in progress”
Ce constat nous a profondément alerté. Si une équipe de six étudiants en journalisme peine tant à obtenir des données exactes – qui sont supposées être ouvertes à tout citoyen – qu’en est-il vraiment de la transparence revendiquée par l’Etat?
Pour obtenir des réponses, nous avons appelé le service informatique de l’Assemblée Nationale. Ce dernier n’a pas souhaité nous répondre par téléphone et nous a renvoyé vers une adresse mail.
Le mot de la fin
La suite logique du travail que nous avons amorcé serait de faire une enquête journalistique plus complète, en analysant chaque amendement déposé par la majorité dans le détail et pouvoir en tirer des conclusions plus probantes.
Asma Mehnana, Mathilde Musset, Luc Oerthel, Taline Oundjian, Manon Pélissier, Julianne Rabajoie-Kany.